•  Le jardin, l'homme et son utopie...Gilles Clémént...Essai " petits plaisirs de la paresse"

    La nature est imprévisible, c'est sa grande richesse. Elle invente toujours des situations nouvelles. Le jardinier suit alors ces inventions. Il les infléchit un peu pour en faire un espace à son échelle, plus agréable, où il peut exister, vivre, se reposer, éventuellement ne rien faire ou laisser faire. Lorsque l'on commence  à laisser s'exprimer la nature, à laisser pousser, on assiste à un spectacle foisonnant : surgissent des fleurs et des animaux que l'on n'avait pas prévus. Cette vie, cette diversité est positive. Et elle advient presque malgré soi. Ne rien faire plutôt que de s'agiter contre est alors mieux faire. Le "jardin en mouvement" part de l'idée que puisque tout change, c'est avec le mouvement et le changement que l'on va travailler et non contre lui.

    Couper les branches d'un arbre demande beaucoup d'énergie. C'est compliqué et douloureux. Cela peut-être un véritable traumatisme. Dire qu'il faut tailler un arbre pour qu'il pousse, c'est méconnaître le monde végétal. Au contraire, on le fait souffrir et on diminue sa vie en l'amputant régulièrement d'environ cinquante pour cent, parfois davantage. Donc véritablement, on le contraint. De toute façon, c'est très coûteux le travail mais c'est surtout quelque fois très bête. Il ne faut pas confondre l'action et l'agitation. La paresse devient un atout à partir du moment où elle permet, précisément, de faire passer cette agitation qui est la nôtre, tout le temps, vers une action juste. Il y a un travail, mais ce travail est celui de la compréhension : ne rien faire, se poser, attendre et regarder.

    Il y a chez les artistes, par exemple, ou les architectes, ou ceux qui ont une créativité en marche constament, l'idée qu'il faut aménager et que le geste architectural ou artistique se voie. Ce n'est pas forcément en respect de la vie. En revanche, laisser vivre c'est précisément respecter   les échangesbiologiques, les échanges entre les êtres vivants, leur existence propre mais aussi leur concertatio,, leurs rencontres, leurs brassages même. Si on prend la disposition de ne pas tailler l'arbre à l'envi, on tolère qu'il aille dans toutes les directions et on se cale par rapport à ça. Il s'agit de s'adapter aux rythmes de la nature, à ses fantaisies.

    Le jardin est un lieu idéal à partir du moment où l'on scénographie la nature de façon qu'elle ait son expression. C'est finalement le seul territoire où l'homme rencontre la nature et peut exprimer son rêve. Dans un jardin, on ne lui interdit pas de le faire, il en a le droit. C'est aussi un lieu de recueillement où l'on se refait une santé morale et mentale. Les gens viennent y lire, dessininer, d'autres font un peu de musique dans un coin. Le jardin est un espace intermédiaire entre la campagne réglementée et la ville. L'homme peut y travailler la vie, avec les éléments de la nature, avec toutes sortes d'animaux et de plantes sur un registre unique, le sien, son utopie. Il peut construire son idée, son rêve, son projet.

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